Ça faisait 17 ans que je n’étais pas retournée à la Réunion.
En sortant de l’aéroport, tout m’a semblé à la fois extrêmement familier et extrêmement différent. Comme lorsque je me suis retrouvée, adulte, dans la cour de mon ancienne école maternelle, étourdie par le changement de perspective, frappée par la petitesse d’un espace que j’associais alors au plus grand déploiement possible de ma liberté.
J’ai réalisé à quel point les souvenirs tenaient davantage à la reconstruction d’une histoire élaborée sur la base d’éléments épars récoltés par une subjectivité pure. Mon point de vue. Je ne cesse aujourd’hui de tourner autour des sujets que je photographie pour multiplier les perspectives. Je peux choisir l’histoire que je veux raconter ou l’enrichir par la multiplicité des angles de prise de vue.
Loin de moi l’envie d’exhumer la madeleine du souvenir, mais j’ai savouré des parfums, des lieux qui ont ranimé des pans de mon enfance jusque là bien enfouis. Les petites pelotes de ma mémoire qui se déroulent et me tricotent un passé à grand coup de « Hann, mais ouiiii ! ».
J’ai une très mauvaise mémoire. Petite, à chaque fois que je vivais un moment qui était pour moi important, je me murmurais à moi même que je voulais m’en souvenir, comme une formule magique : « Je veux me souvenir de ce moment, je veux me souvenir de ce moment ». Régulièrement, je révisais mes souvenirs pour ne pas les perdre. Recevoir un énorme dinosaure vert et rouge pour mes 6 ans constitue l’un des souvenirs que j’ai jugé bon de conserver à l’époque. Le dinosaure n’a pas eu cette chance.
Aujourd’hui encore, je continue mon petit rituel. Ces moments à la Réunion, j’aurais pu décider de tous les consigner précieusement dans ma mémoire. Et parce que la mémoire a ses limites, j’ai la photographie.
« Connecting the dots », disait Steve Jobs. Je crois aussi que si l’on reste nous même, les éléments importants qui nous caractérisent se relieront et l’essence de notre parcours se dégagera naturellement. Plus j’avance et plus cet attachement à la photo se justifie par ce besoin de me souvenir, de documenter la vie pour y revenir, pour la conserver.
La photo que je préfère parmi celles que je partage avec vous aujourd’hui, c’est celle des piments fraîchement découpés par ma mère et laissés de côté le temps d’être incorporé au reste de son plat en préparation. Je me suis replacée là où elle se trouvait lorsqu’elle les découpait. J’ai eu la sensation de saisir son point de vue à elle. Ce n’est certainement pas la photo qui se démarque par sa maîtrise technique, mais elle a de la valeur pour moi, parce qu’elle raconte notre histoire.
Alors je photographie. Je crois que c’est une manière de supporter le temps qui passe. Une illusion, peut-être, d’être en mesure de retenir ce qui m’est important.
Autant de photos comme autant de pelotes, prêtes à se laisser dérouler.
Prenez soin de vous et de vos jolis souvenirs.